Le 25 janvier 2021, le président de la République Emmanuel Macron annonçait que, pendant la durée de la crise sanitaire, tous les étudiants pourraient bénéficier de deux repas par jour au tarif de 1 euro, exclusivement en vente à emporter dans leur restaurant universitaire.
Cette initiative répondait aux résultats alarmants d’une enquête conduite par l’Observatoire national de la vie étudiante qui mettait en exergue la précarisation dramatique de millions d’étudiants confrontés à cette crise sanitaire. Ce dispositif, originellement réservé aux étudiants boursiers, a été dans le même temps généralisé à tous les étudiants du territoire.
Cette généralisation a fait bondir le nombre de repas servis de 160 000 (semaine du 18 février) à 325 000 dans la semaine du 25 février. En parallèle de ces actions institutionnelles, de nombreuses actions de restaurateurs ont été initiées pour soutenir une jeunesse en détresse.
La grande distribution s’est également mobilisée. L’enseigne Leclerc a proposé en février un panier-repas à moins de 2 euros. Intermarché a lancé des bons d’achat de 10 euros sous conditions. Une action vers les étudiants que reprendra Auchan une semaine plus tard.
Les étudiants ne sont pas les seuls publics en grande détresse. l’ensemble du marché souffre cruellement de la pandémie. L’Organisation internationale du travail a estimé que la pandémie avait entraîné la perte de 255 millions d’emplois dans le monde.
Si le secteur de la restauration fait preuve de générosité, ce pilier de l’économie française fait partie des secteurs les plus impactés. Le « click and collect », en l’état, reste un palliatif. Dans les faits, de nombreux établissements ont opté pour une fermeture complète et à s’en remettre aux aides gouvernementales. Fonds de solidarité, crédits d’impôt, Prêts garantis par l’État, chômage partiel maintiennent les entreprises à flot, mais les professionnels redoutent « un séisme » à la réouverture, si le robinet des aides est coupé à ce moment-là.
Dans cette configuration tragique, où la demande est pressante et l’offre malmenée, une population croissante se retrouve en difficulté pour satisfaire des besoins primaires, dont celui de se nourrir.
La recherche peut proposer des solutions
Dans ce contexte, est-il possible de mieux tirer parti de la générosité du côté de l’offre (magasins d’alimentation, restaurateurs, etc.) et de la demande du marché ? Les recherches existantes, comme celles que nous avons menées, démontrent que cela est possible.
Le consumer elective pricing ou pay what you want « payez ce que vous voulez » est un système de tarification dans lequel les clients sont décideurs du prix du produit ou service qu’ils acquièrent. Cette approche a attiré l’attention du monde entier lorsque le groupe de rock britannique Radiohead y a eu recours en 2007. Disponible gratuitement plusieurs semaines avant sa publication physique leur album In Rainbows s’est vendu à 3 millions d’exemplaires. Jane Dyball, alors en charge de cette opération chez Warner Chapell, avait révélé qu’avant même sa sortie physique, l’album avait fait gagner à ses auteurs plus d’argent que le précédent Hail to the Thief.
Au-delà de ce « coup » – plus maîtrisé qu’il n’y paraît – une question restait posée : lorsque « ne rien payer » est une option, la rentabilité et la durabilité peuvent-elles être au rendez-vous ? En 2010, une expérience terrain publiée dans la revue Science est venue confirmer qu’une approche pay what you want influaient favorablement les paiements moyens. L’expérience a démontré que les entreprises pouvaient compter sur une responsabilité sociale partagée des consommateurs.
« DONNEZ ce que vous voulez »
Dans un article que nous avons publié récemment dans Organizational Behavior and Human Decision Processes, nous avons pu établir qu’il était également possible d’augmenter la générosité des consommateurs en changeant simplement un mot :
« Plutôt que de dire « payez ce que vous voulez », dites « donnez ce que vous voulez » ou « payez ce que vous pouvez ». Les verbes donner et pouvoir accroissent considérablement les paiements moyens dans certains groupes de consommateurs. Ce changement, d’apparence mineure, permet au vendeur qui adopte ce système de tarification de réaliser une marge bénéficiaire durable. »
Pour cette recherche, nous avons dans un premier temps collaboré avec un organisme de bienfaisance national renommé. Nous avons organisé une collecte de fonds en vendant des pâtisseries réputées. Nous avions alors formulé notre offre de deux façons distinctes :
- A : « Payez ce que vous voulez pour un beignet, et les profits iront à la cause. »
- B : « Donnez ce que vous voulez et obtenez un beignet, les profits iront à la cause. »
Nos résultats ont démontré que nous obtenons plus de transactions ventes/dons et collecté plus d’argent en utilisant la formulation B.
Nous avons également mené des expériences en collaboration avec un fournisseur de café, et ce, à des fins non caritatives. Nous avons testé deux façons de solliciter le client. Entre « payer ce que vous pouvez », et « payer ce que vous voulez » nous avons, à nouveau, constaté une augmentation substantielle des paiements moyens avec la première formulation.
Il est apparu que cet effet était rendu possible parce que « payer ce que vous pouvez » modifiait la perception du consommateur sur le vendeur. Avec cette formulation, ce dernier était davantage perçu comme emphatique et engagé dans la bienfaisance.
Lors des expériences menées, si les paiements des clients à faible revenu sont demeurés faibles, ceux et celles disposant de revenus plus élevés ont considérablement augmenté. Ces derniers n’ont pas seulement compensé le manque à gagner des paiements inférieurs, il s’est avéré que leurs paiements assuraient une augmentation du bénéfice global du fournisseur.
Ainsi, grâce à l’offre « payez ce que vous pouvez » :
- Les plus démunis ont la possibilité de s’offrir des biens et services qu’ils ne pourraient s’offrir
- Les fournisseurs de produit ou de service – tout en soignant leur image – peuvent en tirer un certain profit pour soutenir leur entreprise.
« Faites ce que vous pouvez » !
Nous avons trouvé un moyen de tirer parti de la générosité des consommateurs pour atténuer la douleur de ceux qui souffrent des deux côtés du marché.
Côté secteur de la restauration, ceux et celles qui en ont l’énergie peuvent tenter de rouvrir certains jours pour offrir des déjeuners à emporter aux employés de bureau et aux étudiants en difficulté en suivant la logique du « payez ce que vous pouvez ». Ils pourrait être surpris par leur recette en fin de la journée tout en consolidant leur relation clientèle.
Côté client, si nous rencontrons une campagne « payez ce que vous pouvez », n’oublions pas de montrer au vendeur un certain soutien pour valoriser son initiative.
Il s’agit de recherche, certainement pas de faire la leçon. La conclusion s’impose d’elle-même à nous toutes et tous : faire ce que nous pouvons.
« Par un mot tout est sauvé. Par un mot tout est perdu. » (André Breton)
Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. Responsable de GEMinsights, Grenoble École de Management (GEM) et Charis Li, Assistant Professor of Marketing, Consumer Insight, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.